Jean-François Revel : la liberté est une fête - Par Nicolas Baverez

Jean-François Revel est né il y a un siècle. Nicolas Baverez rend hommage au philosophe, dont la réflexion politique éclaire la crise de nos démocraties.


Jean-François Revel reste méconnu en France, car il défie les catégories et les clivages traditionnels. Il fut cosmopolite et polyglotte, exerçant une influence considérable aux États-Unis, dans le monde hispanique et lusophone comme en Italie. Il ne se résolut jamais à n'avoir qu'une seule vie, déployant ses talents à la fois comme philosophe et professeur, journaliste et écrivain, éditeur et Académicien, critique d'art, gastronome et turfiste assidu.

Doué d'une plume incandescente, il excella dans la polémique qu'il définissait comme « de la logique, mais chauffée à blanc ». Républicain, athée et anticlérical, il n'eut pour seule vraie religion que l'amitié, célébrée de préférence autour d'excellents flacons. Mais il n'hésita pas à faire dialoguer la raison et la foi avec son fils Matthieu Ricard, devenu moine bouddhiste en 1972 après avoir soutenu une thèse de génétique sous la direction du Pr François Jacob, dans Le Moine et le Philosophe.

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La trajectoire chaotique et la pensée détonante de Revel trouvent leur unité et leur cohérence dans la défense de la liberté : « Toute l'évolution de l'Occident, depuis l'Antiquité, souligne-t-il dans Le Point du 25 septembre 1989, tend à élaborer une civilisation qui laisse l'individu libre et obligé de devenir l'auteur de sa propre destinée, et qui l'en rende capable. » Donnant la pleine mesure de sa stature et de sa puissance intellectuelles, Mario Vargas Llosa le place, aux côtés d'Adam Smith, José Ortega y Gasset, Friedrich August von Hayek, Karl Popper et Raymond Aron, parmi les grands penseurs qui ont accompagné sa conversion du communisme au libéralisme : « Par son indépendance, son aptitude à percevoir le moment où la théorie cesse d'exprimer la vie et commence à la trahir, son courage à affronter les modes intellectuelles et sa défense systématique de la liberté sur tous les terrains où elle est menacée et dénaturée, Revel fait penser à un Albert Camus ou à un George Orwell d'aujourd'hui. Comme le leur, son combat fut également solitaire et incompris. »

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Au cœur de la crise existentielle que traversent les démocraties du XXIe siècle, Jean-François Revel nous rappelle que la liberté ne tient qu'à un fil mais que son prix est inestimable. Les tyrannies ne sont fortes que de nos faiblesses et de la peur qu'elles cherchent à nous inculquer. Par son pari pascalien sur la raison, Revel est le dernier philosophe français des Lumières. Par sa foi dans la liberté, par son universalisme, par sa confiance dans les individus et dans la société civile, il reste notre contemporain et un compagnon de route indispensable dans le combat pour la démocratie.

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[Revel] s'inscrit ainsi au confluent des moralistes des Lumières dans la tradition de Voltaire, de la lignée des libéraux français qui court de Montaigne et Montesquieu jusqu'à Raymond Aron en passant par Condorcet et Constant, Alexis de Tocqueville et Élie Halévy, mais aussi des grandes figures anglo-saxonnes libérales du XXe siècle, Friedrich Hayek, Ludwig von Mises et Karl Popper.

« Un libéral, affirme-t-il, est celui qui révère la démocratie politique, j'entends celle qui impose des limites à la toute-puissance de l'État sur le peuple, non celle qui la favorise. C'est, en économie, un artisan de la libre entreprise et du marché, bref du capitalisme. C'est, enfin, un défenseur des droits de l'individu. »