Raymond Aron : ses prises de position sur les intellectuels, l’Algérie et Mai 68 (3) - Par Pierre Robert



L’opium des intellectuels

Ces intellectuels de gauche, dont Aron est si proche, à tout le moins par sa formation normalienne et philosophique, il les accuse de trahir leurs propres valeurs en se laissant subjuguer, à la fois par une doctrine du XIXe siècle que l’histoire a démentie, par un État dont la nature totalitaire devrait leur être odieuse et par un parti qui en est le représentant et l’exécutant dans nos frontières. Contrairement à eux, Aron ne nourrit aucun doute sur la nature mensongère et tyrannique du communisme stalinien. Cette lutte idéologique – non contre Marx, mais contre le marxisme, le marxisme-léninisme, et plus encore contre l’aveuglement des intellectuels de gauche sur les réalités de l’Union soviétique – se double d’un choix proprement politique : l’abstention est interdite ; il faut assumer ses refus.

À ce propos un passage de L’opium des intellectuels, est tout à fait éclairant sur la manière de voir de Raymond Aron :

« Nous n’avons pas de doctrine ou de credo à opposer à la doctrine ou au credo communiste, mais nous n’en sommes pas humiliés, parce que les religions séculières sont toujours des mystifications. Elles proposent aux foules des interprétations du drame historique, elles ramènent à une cause unique les malheurs de l’humanité. Or la vérité est autre, il n’y a pas de cause unique, il n’y a pas d’évolution unilatérale. Il n’y a pas de Révolution qui, d’un coup, inaugurerait une phase nouvelle de l’humanité. » (opus cité, p. 302)

Ceux qui partagent sa vision ne peuvent opposer à leurs adversaires une foi comparable. On ne peut exiger d’eux qu’ils adhèrent « à un édifice aussi compact de mensonges aussi séduisants ».

En revanche, ils partagent « la conviction profonde qu’on n’améliore pas le sort des hommes à coups de catastrophes, qu’on ne promeut pas l’égalité par la planification étatique, qu’on ne garantit pas la dignité et la liberté en abandonnant le pouvoir à une secte à la fois religieuse et militaire ».

Lucide il ajoute : « Nous n’avons pas de chanson pour endormir les enfants. »


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