Cahier Raymond Aron - Dirigé par Elisabeth Dutartre-Michaut

Alors que le vote extrémiste s'installe en France, il y a urgence à s'imprégner de Raymond Aron, qui fait l'objet d'un passionnant « Cahier de L'Herne ».


La vie et l’œuvre de Raymond Aron se confondent avec l’histoire du XXe siècle. Pourtant dans le contexte d’une crise sanitaire qui questionne la mondialisation, d’une grave crise économique et financière, d’une crise de la représentation, d’une montée de l’antisémitisme et des populismes, la pensée de Raymond Aron peut être une source d’inspiration pour penser la politique « par gros temps ».
Ce Cahier offre ainsi l’opportunité de lire Aron pour lui-même, d’éclairer la genèse de sa pensée, de prendre la mesure de son importance aujourd’hui, sans se dire qu’il n’avait ni tort ni raison mais en essayant de dépasser le cloisonnement disciplinaire auquel il nous invite. Les textes de Aron reproduits dans ce volume illustrent un combat intellectuel et personnel pour lequel il mobilisa sans relâche tout son savoir théorique, de la philosophie de l’histoire à la sociologie en passant par la théorie des relations internationales et le commentaire de l’actualité. Ces textes sont éclairés par des contributions originales écrites par des chercheuses et des chercheurs de générations différentes offrant des points de vue variés. Un premier ensemble pose le socle de la réflexion théorique d’Aron, tandis que le deuxième illustre la façon dont il n’a cessé de mettre à l’épreuve sa capacité à appréhender le réel. Le troisième enfin donne au lecteur des clés pour saisir notre époque en montrant comment la pensée d’Aron peut nous aider à mieux comprendre la condition humaine et les dangers que les « machiavélismes » contemporains ne cessent de faire surgir. Le tout est émaillé de témoignages, de correspondances, de documents originaux et iconographiques qui ont vocation à rendre Raymond Aron plus familier.

Aron, un penseur pour notre temps

Par François-Guillaume Lorrain

Aron redeviendrait-il à la mode ? C'est la question qui vient à l'esprit en feuilletant ce passionnant « Cahier de L'Herne » qui mêle témoignages, archives, analyses de l'œuvre pléthorique de ce « professeur d'hygiène intellectuelle », comme le qualifiait Claude Lévi-Strauss. Parmi les documents, l'étonnant éloge posthume de Jean Daniel et le fac-similé de « La Bataille de France », commentaire par Raymond Aron du désastre militaire de 1940 annoté par de Gaulle, auquel Aron s'opposera à Londres en publiant en 1943 « L'Ombre des Bonaparte ». Étrange destinée de ce philosophe-journaliste qui pensa souvent contre sa famille – notamment sur l'Algérie, dont il demanda l'indépendance dès 1957 –, qui fut gaulliste quand personne ne l'était plus – entre 1947 et 1958 –, antigaulliste quand il fallait être gaulliste, et qui se voyait comme un solitaire.

Aron, un penseur pour notre temps - Le Point

Raymond Aron, libéral vigilant


Par Élodie Maurot.

Il y a quelque chose de troublant à se replonger dans les écrits de Raymond Aron (1905-1983), alors qu’à l’est de l’Europe la guerre vient de refaire une entrée fracassante. L’œuvre du philosophe et sociologue, ancien professeur au Collège de France et figure de la pensée libérale, se confond avec l’histoire du XXe siècle, dont il fut un puissant analyste, à la fois comme chercheur et comme journaliste, chroniqueur pendant trente ans au Figaro, puis à L’Express.

Esprit vigilant, « modéré avec excès » selon son expression, l’homme fut un indéfectible défenseur du libéralisme et de la démocratie, quoique sans illusion sur leurs faiblesses. Il s’efforça de tracer un chemin politique concret à la liberté et au pluralisme, avec une vive conscience de l’opacité de l’histoire, de la contingence de l’action et de la puissance des forces irrationnelles.